Sexualité : à quoi rêvent les ados

Porno, précocité, fellation, Tinder… Et si les mots associés à la sexualité des adolescents étaient aussi déconnectés de la réalité qu’une vidéo youporn avec une fille en poirier faisant l’amour avec six hommes ? Nous avons interrogé les concernés. Témoignages et avis d’expert.

 

Ils sont nés dans les années 2000. Ils sont amoureux ou pas vraiment, ils écoutent France Culture ou Cœur Grenadine, ils veulent devenir journaliste ou président de la République. Mais à quoi rêvent les ados une fois la nuit et la veste tombées ? Face à l’accessibilité au porno, aux applis de rencontres et aux réseaux sociaux, la sexualité des ados est souvent perçue comme débridée, osée, précoce. Or, quand on creuse et discute avec les intéressés, on entend l’amour, le respect, la peur, la tendresse, et beaucoup de lucidité. « La sexualité des adolescents ne correspond pas à ce que les parents imaginent et elle n’est pas aussi axée sur la transgression que les médias le relatent », confirme d’entrée de jeu Stéphane Clerget, pédopsychiatre et auteur de « Ados, le décodeur » (éd. Leduc.s), avant de développer : « La sexualité a toujours été associée à l’adolescence et reste un univers perturbant pour les adultes qui ont, eux, une sexualité plus réglementée ». Ainsi, les adultes imaginent-ils le « pire » par fantasme et réactivation d’une période révolue ? Par nostalgie et besoin de confronter leurs propres souvenirs ? C’est fort probable. En tout cas, ce qui est certain, c’est que la nouvelle génération n’est pas si excessive en matière de sexe que ne l’ont été les trentenaires et quadragénaires d’aujourd’hui. Enquête.

ENTRE PORNO ET RÉALITÉ, J’AI BIEN COMPRIS MERCI

Si dans les années 80, regarder un porno exigeait d’avoir Canal + ou un bon copain partageur, les obstacles ont aujourd’hui sauté. Ainsi, selon une étude Ifop menée en 2017, 51% des adolescents âgés de 15 à 17 ans ont déjà surfé sur un site pornographique*. Augustin, 18 ans, en est : « Le porno m’a davantage appris sur la sexualité que mes cours de SVT, même si j’ai conscience que tout n’est pas synonyme de réalité », dit-il avec aplomb. Chloé, 18 ans, estime que le porno est rassurant même quand il est cliché : « Lorsque les actrices sont pliées, ça peut faire ressortir des bourrelets, pas comme sur les photos Instagram », remarque-t-elle. En attendant que le porno mainstream ne soit détrôné par le porno alternatif aux mises en scène plus réalistes, Stéphane Clerget précise que le vrai danger du porno n’est pas, de toute façon, la confusion entre écran et réalité, d’autant que les jeunes font visiblement preuve de discernement. « Le danger est de regarder du porno avant même l’entrée dans la sexualité, à un âge où on élabore ses désirs ». Le risque ? Rester enfermé dans le porno et ne plus aller vers l’autre.

Un constat que le magazine « The Atlantic » partageait en décembre 2018 dans un numéro consacré à un phénomène étonnant, celui de la récession sexuelle. En d’autres termes, les Américains feraient de moins en moins l’amour et les jeunes en premier, notamment à cause du porno qui les éloigne de la « vraie vie ». Mais ces données outre-Atlantique ne sont pas transposables chez nous, rapport à la culture puritaine des Etats-Unis mais aussi aux statistiques de la maison : en France, depuis les années 90, l’âge de la première fois n’augmente pas mais ne diminue pas non plus, du moins pas significativement.  

DES PEURS UNIVERSELLES ET INTEMPORELLES

Soumis aux injonctions et à l’hypersexualité ambiante, les adolescents seraient-ils victimes d’un tonnerre de pression, au point de sauter le pas très vite ou au contraire de repousser le grand saut, continuant ainsi de creuser l’écart entre des premières fois précoces et d’autres plus tardives ? Quand on regarde de plus près, la pression ressentie la première fois est inhérente à ce passage, pas tant à l’époque. Alizée, qui a fait l’amour pour la première fois à 17 ans, nous parle de la peur d’avoir mal et d’attraper une IST, même si elle se protège à chaque fois. On a connu. Augustin, lui, nous confie avoir eu peur de ne pas avoir d’érection. On a connu aussi et on connaît encore. Jade, 18 ans, a fait l’amour pour la première fois à l’aube de ses quinze ans, après quatre mois de préliminaires avec son copain – parce que la première fois n’est pas, contrairement à l’image que nous en avons sur fond de grands chambardements, un rapport vite fait bien fait et sans mise en bouche, même quand elle survient tôt : « La peur d’être maladroite était un peu présente pour moi mais comme tout le monde je pense ». Oui, comme tout le monde.

Puisque la sexualité est partout et promène avec elle son lot d’injonctions, les peurs de « mal faire » ou de « ne pas en faire assez » collent à la peau de la jeune génération. Mais le revers de la médaille est positif, selon Chloé : « Je ne pense pas que l’on parle trop de sexualité. Au contraire, c’est plus rassurant de voir que ce n’est pas tabou. Je pense qu’avant, le fait de ne jamais en parler et d’en faire un sujet interdit devait entraîner des chocs au moment de la découverte. Le point négatif, c’est la comparaison sociale et le jugement, mais personnellement je ne me suis jamais sentie jugée par mes amis, un peu plus par mon ex qui avait plus souvent envie que moi, mais cela ne m’empêchait pas d’avoir ma propre idée de la sexualité, que je conserve encore aujourd’hui ».

L’AMOUR, L’AMOUR

Comme l’analyse Stéphane Clerget, la question sentimentale reste au premier plan chez les jeunes, même s’ils ne se font pas d’illusion. « Ils ont vu suffisamment de divorces pour ne plus y croire. Pour eux, il y aura plusieurs parcours de vie. Globalement, ils restent assez conformistes, et même si les notions de trouple ou de polyamour les amusent, ça reste anecdotique et fantaisiste. Ils ne construisent pas leur vie future autour de ça », détaille le pédopsychiatre. Fantaisiste peut-être, mais une chose est sûre, la jeune génération n’épouse pas les vieux schémas et sort de la contrainte hétérosexuelle. Les aventures bisexuelles ne sont pas insolites, ponctuelles ou transgressives. Elles s’inscrivent comme un nouveau mode de fréquentation que nombreux partagent, comme l’observe Jules, 18 ans : « Sans être gays ou bisexuels, beaucoup de garçons de mon entourage ou de ma classe ont déjà embrassé un homme. Je pense que dans ma génération, les hommes acceptent mieux leur part de féminité, ils font plus attention à eux et n’ont pas peur de pleurer ». « La tolérance des jeunes évolue et elle est étonnante, commente Stéphane Clerget. Les amours homosexuelles, dans l’esprit des ados, sont des relations comme les autres ». Et ils ont bien raison, c’est le cas ! Violette, 17 ans, qui est toujours vierge, nous parle de son identité sexuelle : « J’ai du mal à me mettre dans une case mais étant donné que je suis déjà sortie avec des filles et des garçons, et que je pense être attirée par les deux, je crois être bisexuelle ».

Il semblerait que la nouvelle génération tende l’oreille et soit attentive aux notions de désir, plaisir, liberté et égalité. Une libéralisation des mœurs qui, contrairement à ce que l’on croit, ne pousse pas à la « débauche » mais bien à l’écoute de soi, des autres, des corps. Depuis deux ans, les nombreuses actions féministes qui visent à lutter contre les violences sexuelles et briser les tabous qui planent autour de la sexualité féminine portent leurs fruits.

LE CONSENTEMENT AU CŒUR DES RAPPORTS

Selon Jules « les jeunes hommes n’osent plus draguer depuis la révolution metoo par peur de se faire « détruire » sur les réseaux sociaux ». La frontière entre draguer et forcer manquerait-t-elle de netteté ? Il semblerait, notamment quand on sait que 68% des 15-25 ans avouent que les limites du consentement sexuel ne sont pas assez claires et précises. Paradoxalement, quand on leur demande ce qu’ils en pensent, tous nous apportent une définition claire. Oui c’est oui, non c’est non, et oui peut devenir non, l’important étant dans la discussion, qui se doit d’être au centre des relations. Joséphine, 18 ans, ajoute que « les deux personnes doivent également être en capacité de donner leur consentement c’est-à-dire pas sous l’effet de l’alcool ou de drogues ». « Ce qui peut inquiéter n’est pas tant la sexualité des adolescents mais l’augmentation de la consommation d’alcool chez les filles et de drogue chez les deux sexes, qui favorisent les prises de risque », rebondit le pédopsychiatre Stéphane Clerget.

Pour Louise, 20 ans, consentement, ça veut dire « choix délibéré, libre et éclairé, sans contrainte autre que soi-même », parce que parfois « la contrainte vient de nous et qu’on ne peut pas toujours l’imputer au partenaire ». Les analyses vont bon train et la notion de consentement est très souvent évoquée chez les jeunes, nous dit Violette, grande fan de Adèle Haenel depuis toujours, bien avant que l’actrice n’accuse publiquement le réalisateur Christophe Ruggia de son premier film d’agressions sexuelles.

A L’ÉCOUTE DU PLAISIR FÉMININ

Autre nouveauté, les informations relatives à la sexualité féminine et au plaisir féminin. Face à l’obscurantisme clitoridien, large sujet de lutte, les jeunes sont de toute évidence plus informés que nous ne pouvions l’être il y a quelques décennies. Augustin raconte : « Je n’ai trouvé que récemment le clitoris. Je savais à peu près où il se trouvait mais pas exactement. Je découvre le corps des femmes, chacune est différente. La communication est nécessaire et vouloir s’y intéresser aussi », dit-il. Jules, lui, décrit le clitoris comme « une racine du plaisir de par sa forme visible et invisible ». Alizée, pense bien connaître son corps et nous indique que « le clitoris se situe près des petites lèvres et permet de ressentir du plaisir pendant un rapport ». Pour Chloé, il est « l’organe féminin du plaisir ». « Je crois qu’il ne sert d’ailleurs qu’à ça, et se trouve au-dessus de l’utérus », ajoute-t-elle. Pour l’utérus, on n’est pas bien sûr, pour le reste on valide.

Quant aux VIH et aux IST, les réponses des jeunes sont toutes aussi claires. « On l’apprend en SVT », rappelle Augustin. Alors à défaut d’étudier le plaisir, le consentement et l’anatomie féminine en cours, les jeunes trouvent des réponses sur Internet et les réseaux, terrains peut-être plus précieux qu’on ne veut bien le croire pour une génération consciente et bien partie pour transmettre aux suivantes les valeurs nécessaires à un épanouissement sexuel tant recherché.